Différentes approches du tango et le type de relation que cela implique

Le tango, c'est une danse incroyable. 

On peut le danser juste en marchant, comme on peut aller chercher au plus loin dans notre corps. 
On peut rester à la surface de la danse et de soi, comme on peut descendre au plus profond de soi pour donner le meilleur et pour se transformer. 

Souvent, on me demande combien de temps cela met pour apprendre à danser le tango. Je réponds en montrant une table et en demandant : qu'êtes-vous prêt à mettre là-dessus ? 
Il y a, à mon avis, quatre grandes manières d'apprendre le tango
1- en faisant des chorégraphies qui font qu'en général, on ne peut danser avec les personnes de notre cours, voire parfois qu'avec notre partenaire
2- en estimant que le guideur décide de tout et que le guidé doit s'y plier. Cela ne nécessite pas forcément un grand développement des capacités d'écoute de l'un et de l'autre des partenaires  puisque l'un impose et l'autre est positionné plutôt qu'il n'apprend à se positionner. 
3- en apprenant le guidage grâce à des pas et au fait d'apprendre la technique
4- en donnant les grands principes de ce qui crée la relation de tango et de guidage et de transformation du guidage et en proposant des thèmes où l'on va progressivement apporter des nuances et laisser les élèves développer leur danse. 

La proposition 4 demande plus de travail personnel car elle implique de travailler aussi son propre corps pour faire progresser la relation. Elle est surtout plus exigeante pour l'enseignant car il ne dit pas ce qui est juste ou non, il guide les apprenants à découvrir ce qui permet au mouvement d'être réalisé dans l'harmonie des corps et des esprits. Il explique ce qu'il cherche à ressentir lorsqu'il l'exécute, mais n'impose pas aux autres le fait de chercher la même chose.  
Si je souhaite rester à la superficie et faire du tango pour le fun et l'extérieur, c'est possible. Je peux aller danser, échanger des danses. Je peux même ne faire qu'aller en cours et ne jamais aller en bal et vraiment danser. Il n'y a pas de jugement de valeur. 

Progresser selon la méthode 4
Si je souhaite aller plus loin dans cette démarche et dans ma danse, deux éléments entrent en compte : 
- mes capacités physiques : mon histoire corporelle et les pratiques physiques que j'ai eues et ce que je vais faire pour pouvoir développer ma danse et mon aquité corporelle
- mon positionnement relationnel : quelle est mon estime de moi et le type de relation que j'entretiens avec les autres. 

Ce dernier point peut sembler étrange pour quelqu'un d'extérieur, mais en fait pour les types d'apprentissages 3 et 4, on va chercher une relation fluide à l'autre. Les deux partenaires sont à part égale dans la réussite de la danse. Cela signifie par exemple, si l'on les compare avec l'éducation, qu'ils sont plutôt dans le registre des parents qui vont chercher à être exemplaires pour inspirer leurs enfants plutôt que de les réprimander en permanence. Cela est plus exigeant pour les parents, mais donne des résultats à plus long terme où l'enfant va apprendre à se forger sa propre opinion, il va être plus créatif, va avoir un positionnement orienté solution plutôt que problème...
Si j'ai une estime de moi faible, je vais avoir des difficultés à être dans une relation sereine avec mon partenaire. Je vais culpabiliser quand un mouvement ne sera pas bien exécuté au lieu de rester dans la qualité de la relation. Tant que je suis dans cette pensée, je ne suis pas dans ce qui est en train de se passer et donc je ne danse plus. Il arrive que l'on passe une danse entière à danser avec la mauvaise conscience de quelqu'un plutôt qu'avec cette personne et c'est assez désagréable. 
Si j'ai une estime de moi très développée, ne laissant pas la place à l'autre comme un égal, je vais, que je le veuille ou non, laisser transparaitre les moments où j'estime que l'autre fait mal. Si je me crispe, si je fais un rictus, l'autre le ressent et notre danse en est affectée. Je vais aussi avoir un raidissement du corps qui aura des conséquences sur la qualité de notre relation physique et donc de notre danse. 

Notre corps ne fait que répéter ce qui se passe dans notre cerveau. Notre corps ne ment pas. Si je ne me respecte pas, mon corps va le montrer, par une rigidité des articulations ou au contraire par une mollesse, par exemple. Si j'ai peur de perdre, mes bras et mes mains retiendront. Si j'ai peur de perdre le contrôle, j'aurai des bras durs qui obligent plutôt que ce ne soit mon torse entier qui guide. Si j'ai peur de faire mal, je proposerai, en tant que guideur, des pas empreints de doutes, hésitants qui ne permettront pas à mon partenaire de comprendre ce que je désire. Si je suis très maternant avec peu de confiance en l'autre, cherchant à aller au delà des besoins des autres, j'aurai tendance à caricaturer mon guidage, mes mouvements pour être sur de tout donner à l'autre et que lui entende. Si j'ai peu confiance en moi, je pourrais faire de même, pensant que ce que je donne n'est jamais assez pour être clair alors je deviendrai ma propre caricature.

Hier, j'ai dansé avec une danseuse professionnelle que j'ai vu "grandir". Cela faisait longtemps que nous n'avions pas dansé ensemble (pas loin de deux ans). Les dernières personnes que j'avais guidées étaient mes élèves. Je me suis rendu compte, en dansant avec elle, que je m'attendais à ce qu'elle ne fasse pas ce que je souhaitais. Mon corps était prêt à compenser sa non réaction.

Il y a quelques années, j'ai dansé avec un garçon qui faisait pas mal de figures, mais avait une certaine musicalité et une grande dynamique dans les bras. Après ces quelques danses, j'ai eu l'impression d'être passée sous un train sans fin. Tout s'enchaînait, sans répit. Je me suis dit que la fois d'après, j'aurai aussi du plaisir. 
Cette seconde fois, je suis donc rentrée dans une relation qui était très physique avec les bras, mais sans être violente. A l'issue de notre danse, une danseuse qui nous avait vus et m'a demandé comment je faisais pour danser avec lui car elle, elle n'y arrivait pas. Je lui ai répondu que j'avais décidé d'avoir moi-aussi du plaisir et mon mot à dire et c'est ainsi que nous avons régulièrement dansé avec lui.
Quelques années plus tard, alors que nous n'avions pas dansé ensemble depuis un moment, je redanse avec lui. Là, je me rends compte que mon corps se met d'emblée dans la position qui caractérisait notre ancienne relation, alors même que ce qu'il me proposait n'avais plus rien à voir avec son ancien guidage. J'avais beau chercher à répondre à ce qu'il me proposait là, maintenant, qui n'était plus musclé, mon corps ne lâchait pas ses réflexes de contre-poids... 
Cela m'a rappelé un cours de philosophie où notre professeur avait déclaré que la plupart du temps, la difficulté que les gens ont à changer est plus liée à leur environnement qu'à eux-mêmes. 
Tout cela pour dire que les processus de changement dans notre danse dépendent de plusieurs éléments : notre prise de conscience d'un besoin de changement, notre volonté de changer, puis il faut en convaincre notre corps et enfin celui de nos partenaires, ce qui demande une véritable détermination. 
Cela explique que les gens qui changent leur danse ne puissent plus danser avec leurs anciens partenaires réguliers qui, même s'ils avaient notre mode de fonctionnement espéré avec d'autres partenaires, ont du mal à ne pas laisser leur corps avoir des réflexes attachés à cet ancien format de la relation. Il arrive donc que l'on ait besoin de plusieurs années pour pouvoir de nouveau s'enlacer dans une relation juste, fluide et gratifiante pour les deux où chacun peut mettre à profit son évolution.

Marielle

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