Interview de Marielle dans la Gazzetta del tango - La Gazzettango #147

Entrevistita à Marielle

La Gazzettango #147
du 10 au 24 mars 2013
Entrevistita à Marielle Aba
Gz- Qu'est-ce qui vous fatigue dans le milieu du Tango ?
MA- Le manque de gentillesse, de bienveillance et de curiosité : que puis-je dire à une femme un peu ronde ou plus très jeune qui veut commencer le tango ? Que même si elle devient une super danseuse, il se joue souvent des choses entre les danseurs qui font qu'elle n'aura pas sa chance avec tout un pan d'entre eux ? Que si elle n'est pas une JJBDP (Jeune Jolie Bonne Danseuse ou à Potentiel), elle aura bien plus de chance d'user sa robe assise sur une chaise que sur la poitrine d'un danseur ?
Je pense à une copine, bien ronde, 1,75m, donc plus grande que moi avec une bonne vingtaine de kilos de plus. Je la guidais souvent avec mes talons, tellement elle était légère et réactive, particulièrement en milonga, mais aussi avec une vraie sensualité et une écoute profonde : un vrai plaisir d'interprétation musicale ! Elle pouvait passer sa soirée assise. Elle a arrêté.
Que puis-je répondre à un danseur débutant qui me dit qu'il a invité une femme qui a juste détourné ses yeux en guise de réponse ?
- Le côté "fashionable" lié à l'influence des personnes : certaines personnes peuvent ne pas du tout aimer danser avec quelqu'un, voire ne pas du tout aimer cette personne. Cependant, comme elle fait partie des personnes "hypes", qui font et défont une partie du beau temps, elles vont danser avec pour montrer qu'elles appartiennent à sa catégorie.
- L'absence de deuxième chance : les gens changent, leur danse aussi. Cependant, lorsque qu'une première danse n'a pas satisfait, ils restent catalogués avec une mauvaise note et n'ont pas forcément de nouvelle opportunité quand le temps a passé.
- Le fait qu'il n'y ait pas un enseignement plus insistant sur le respect du bal et sur la circulation. Comment peut-on prendre tant de risques avec le corps de la personne que l'on tient contre son coeur ?
Gz- Où et avec qui avez-vous découvert le Tango ?MA-  Le tango, c'est un rêve d'enfant. Petite, je voulais déjà danser le tango, mais je ne sais pas d'où ça vient : nous n'avions pas de télé, je n'avais pas vu de spectacle, il n'y avait pas internet..., mais je voulais danser le tango !
Il y a eu plein de DECOUVERTES, le tango a beaucoup de FACETTES et je dois ces découvertes à PLEIN de MONDE.
- Mes premiers QUAIS. Au début des années 1990, le vendredi soir, il n'y avait encore que les danseurs de tango, quelques passants et une fête étudiante qui a fini avec l'arrivée de la police !
- Ma première MILONGA, c'était à Mayence en Allemagne en 1995. Quand j'ai vu qu'il y avait un bal de tango, j'ai tanné mon copain pour que nous y allions, mais je n'ai presque aucun souvenir !
- Mon premier COURS : c'était en 1996 avec Claudia Rosenblatt à la Flèche d'Or et un coain avec qui nous faisions de la danse de salon. On était venus boire un pot et il y avait un tableau dehors disant qu'il y avait des cours le samedi après-midi.
- Mon premier BAL en tant que "danseuse" : organisé par DAVID Liebart à la flèche d'or avec un orchestre en 1997. Il proposait des tarifs abordables, faisait venir des musiciens dans des lieux très animés qui ont permis de populariser le tango dans une ambiance festive avec des propositions musicales originales.
- mon premier SPECTACLE tango : avec tango pasíon en décembre 1997. Dans le métro, après le show, en allant au Latina car mes pieds me démangeaient tellement, je suis tombée sur les 3 danseurs qui avaient attiré mon attention ! L'un d'entre eux, splendide sur scène ne savait pas danser le tango à l'époque, il ne connaissait essentiellement que ses chorégraphies !
- Ma découverte de la MUSICALISATION plus traditionnelle : c'était "chez AUGUSTO", le vendredi soir. Toujours la même cortina et l'alternance organisée des tangos, valses et milongas. Il y avait aussi les concours pour découvrir les orchestres que nous faisions souvent avec la complicité de Nicolas C.. Le petit coin avec les boissons gratuites permettait aux gens de discuter et de se socialiser. C'était le lieu de rencontre de tous les styles, de tous les publics, de tous les âges. Augusto faisait venir des danseurs professionnels comme Nestor Reyes ou invitait de vieux milongeros à faire des démos. Pendant l'été, il disparaissait pour aller chercher l'inspiration à Buenos Aires et nous la faire partager à la rentrée.
- mon premier EVENEMENT tango : pour la Coupe du monde de football de 1998, je travaillais à la RATP et on m'a proposé d'organiser des événements pour faire découvrir les pays participants, dont l'Argentine. J'ai proposé que l'on cherche à donner une image large de ce qui se passait à Paris en tango. Pendant une semaine, nous avons organisé des bals avec Carmen et Victor, avec Isabelle et Alfredo du Latina..., des cours, des démos (Silvina Vals et Fabian Hojman, El Duende et Virginie, Imed Chemam et Bibiana Guillamet...), des expositions, des asados, des lamas, des ventes de produits argentins, des concerts de Carasco, Caceres, Artango... sur les quais de la gare de Lyon, à Argentine et à La Défense, en partenariat avec l'Ambassade d'Argentine.
- mes premiers STAGES : avec ERIC JEURISSEN puis avec KOMALA qui venaient tout droit de la Hollande invités par Nathalie Clouet et Imed. Pour faire intégrer les notions d'écoute mutuelle, de respect du bal, ils proposaient une pédagogie très différente de ce que l'on voit classiquement, avec des exercices très ludiques et riches. Leur approche m'a beaucoup influencée en tant que danseuse et en tant qu'enseignante.
- mes premiers cours de GUIDAGE, c'était début 98 pour faire l'appoint lors du stage avec KOMALA et IMED. Ayant des soucis de posture, je ne trouvais pas vraiment d'enseignants qui avaient de véritables compétences dans ce domaine. J'ai donc décidé de travailler mon rôle féminin en me redressant grâce à la kinésithérapie et de rester en lien avec l'enseignement en apprenant le guidage chez Christophe et Judith. Grâce à eux, j'ai pu commencer à conceptualiser les principes fondamentaux du tango. J'ai aussi pu bien mieux comprendre comment mieux remplir mon rôle de guidée.
- mon premier VOYAGE tango à l'international : c'est IMED mon professeur de l'époque qui m'a convaincue de l'intérêt de partir. Le tango, en 1998, à Paris, c'était plus vivant qu'à plein d'autres endroits, mais c'était encore tranquille. Silvina venait d'arriver, Chicho allait arriver en fin d'année, Sebastian et Mariana, Gisele Anne... Alors une bande de danseurs venus de toute l'Europe et d'ailleurs venait se retrouver à NIjmegen (Nimègue) pour danser ensemble, partager, progresser. La plupart des gens parlaient plusieurs langues, ont commencé à apprendre l'espagnol et beaucoup se sont ensuite tournés vers l'enseignement. Il y avait un respect du bal extraordinaire, et je crois que c'est aussi ça que les gens venaient chercher : des valeurs communes. Eric proposait aussi une musique large et variée et c'était chouette de danser sur d'autres musiques. Il nous a fait découvrir plein de monde, dont Melingo.
Eric, qui fête les 25 ans de El Corte en 2013, a été le premier à proposer des marathons de tango. On y dort dans la salle de danse, on petit-déjeune en dansant... Le fait d'avoir du tango en permanence permet d'être moins "tendu" que quand la soirée est courte et qu'il faut danser immédiatement ! Le fait de discuter, de rencontrer les autres... fait partie du jeu et est même vital pour se reposer, comme le fait de s'entre-masser quand le corps n'en peut plus ! Cet espace a vraiment donné un élan au tango international.
- mon premier FESTIVAL, c'était à Amsterdam en 1998. C'était énorme ! Le tango était encore peu répandu dans le monde, mais là, les gens venaient de toute la planète et bon nombre de ceux qui étaient là étaient dans une véritable recherche. Des gens comme HOMER LADAS traversaient l'Atlantique pour trouver l'inspiration. A l'époque, le fait que l'hôtel principal ait été à côté de la gare et que l'on y proposait une pratique gratuite l'après-midi a beaucoup contribué à permettre aux gens de se rencontrer personnellement et pas seulement dans la danse.
- En 2000, l'organisation des quais de Seine a commencé à changer. TOURE a commencé par faire tous les jours de la semaine alors qu'avant c'était du vendredi au lundi. Comme 7 jours, c'était finalement trop de travail, il m'a proposé de mettre la musique un jour par semaine. C'est comme ça que j'ai commencé à être DJ.
- Quelques temps plus tard, de passage à Nîmes, FELIX AKLI m'a donné l'occasion de mettre la musique à La Milonga del Angel : c'était ma première MUSICALISATION dans un LIEU COUVERT ! Pendant son festival d'été, les danseurs venaient de toute la France et aussi de l'Allemagne, la Belgique, la Hollande... C'était aussi une belle halte sur le chemin de Sitges en co-voiturage avec les danseurs qui venaient des autres régions !
Cette année-là, j'ai dansé avec GERARD, de la casa de Gérard à Buenos Aires. Ca me semblait naturel de danser en fermé ou en ouvert et j'aimais avoir cette palette. Mais là, il y a eu une sorte de révélation. Je faisais un tour à gauche et j'ai trouvé extraordinaire que l'on puisse faire tourner quelqu'un sans bouger les pieds, juste avec le contact des poitrines, sans aucune intention supplémentaire dans le bras.
- Ma première DEMO, c'est avec DANIEL CARLSON que je l'ai faite, à Malmö en 2002 ou 2003. Il m'avait dit alors une chose qui a été fondatrice pour mon tango et pour ma pédagogie : à part des volcadas ou des colgadas, l'essentiel de ce que l'on fait en tango, on peut le faire seul sans l'autre. Cela signifie que c'est à nous de travailler notre équilibre, qu'il est possible de progresser seul en travaillant son corps autour des principes fondamentaux du tango : les huit, les tours, la marche. C'est dans cet esprit-là que j'ai inventé des katas qui permettent aux gens de travailler chez eux leur technique personnelle comme cela, ils profitent plus du cours et peuvent plutôt travailler la connexion à l'autre : les principes du guidage et de la réception de guidage.
- La variété de la PEDAGOGIE, c'est essentiellement en travaillant pour des festivals avec une quarantaine de couples que j'ai pu la découvrir. Ca m'a permis de me positionner par rapport à ce que je souhaitais développer dans ma danse et dans ma propre démarche pédagogique.
- Pour mon premier VOYAGE à Buenos Aires, j'avais envie de me laisser guider et de m'adapter au maximum aux codes, alors j'ai suivi les conseils de Sandra Messina et Victoria Vieyra. Elles m'ont suggéré de ne jamais accepter de danser quand on venait m'inviter à table. Elle m'ont dit de ne fonctionner avec le cabeceo parce que cela permettait de "construire sa soirée". C'était très obscur pour moi, mais j'ai essayé deles écouter. Elles m'ont aussi montré comment se faisait le cabeceo. Mes débuts, le premier soir, ont été difficiles car j'avais été conviée à la table d'Osvaldo Natucci. Cependant, comme on n'invite normalement pas une femme qui est à la table d'un homme, il a fallu que je discute avec les voisins pour que, finalement, l'un d'entre eux me fasse mon premier CABECEO. En respectant les règles de la milonga, je me suis faite respecter à mon tour. J'ai pu apprécier l'intérêt du cabeceo qui ne permet pas seulement au guideur de ne pas perdre la face si l'on lui refuse, il permet aussi et surtout de montrer son désir, son envie de danser avec quelqu'un. C'est une vraie liberté... des deux côtés. Il ne faut pas mal prendre le fait que les gens aient besoin de temps pour avoir envie, il y a des danseurs qui n'ont répondu positivement qu'à mon septième voyage ! C'est tellement agréable d'avoir un cadre pour montrer son désir !
- DONNER mon premier COURS de tango est arrivé un peu par hasard. J'avais parfois aidé Imed lors de cours ou de stages et il me disait depuis quelque temps que je devais ouvrir un cours, mais je ne passais pas le pas. Un jour, on m'a invitée à assister à une formation nationale de responsables associatifs. Ne pouvant en assumer le coût, on m'a proposé de donner un stage de tango en contre partie de la prise en charge de mon séjour. Je n'oublierai jamais ce que j'ai éprouvé quand je suis arrivée dans la salle, une autre facette du tango...
- Le TANGO, un véritable OUTIL de CONNAISSANCE de SOI. Alors que je faisais des études de coaching, je souhaitais pouvoir trouver un moyen de valoriser ce que le tango peut apporter dans une démarche de changement. Lors d'une conférence, nous avons évoqué avec un autre participant la notion d'autorité : quelle est la différence entre "avoir de l'autorité" et "être autoritaire" ? J'ai illustré mon propos en lui guidant deux pas de tango. L'expérience l'a interloqué et il a fait venir d'autres personnes pour partager avec nous. Ca a fait le buzz les jours d'après et on m'a demandé de donner une conférence. Plutôt qu'une conférence classique, je voulais que les gens puissent vivre ce que j'évoquais. J'ai donc organisé des séances préparatoires avec des groupes de cobayes et, à l'échelle d'une centaine de personnes qui donnaient des feed-back sur cette expérience. J'ai ainsi pu avoir la confirmation de la richesse du tango comme moyen pouvant être utilisé de manière méthodique pour mieux comprendre son propre mode de fonctionnement et son interaction avec les autres et donc pour les faire évoluer.
- Ce qui est chouette avec le tango, c'est que c'est une histoire sans fin : on peut toujours découvrir de nouvelles choses dans notre danse, mais aussi dans la culture, dans la musique, dans l'histoire, dans la poésie...
Gz- Pour vous où se joue l'avenir du Tango ?
MA- Dans un vrai partage intergénérationnel, c'est à dire entre personnes d'âges différents et entre danseurs ayant des temps de pratique différents : je rêve de lieux qui, comme les anciens Métalos (avec David Liebart et Angelica Chemla), permettent à tout le monde de se rencontrer, mais dans le respect du bal. J'adore parler avec les vieux milongueros à Buenos Aires, ça me fait plaisir de voir des gens de toutes générations partager ensemble et c'est ainsi que les choses peuvent aussi se transmettre et évoluer.
L'avenir du tango se joue aussi pour moi dans l'introduction dans les bals de tandas d'orchestres contemporains afin de valoriser les musiciens actuels et de développer l'écoute musicale.
Gz- Un bon et un mauvais souvenir de Tango ? MA- J'ai beaucoup de très bons souvenirs, avec des gens de tellement de nationalités. Evidemment, la plage à Sitges à 9h du matin, avec les papis et les mamies qui promènent leurs chiens, les musclés qui promènent leurs muscles dans leur marcel. Les ombres des danseurs enlacés qui se déplacent sur le sol avant le fameux petit déjeuner et ses discutions jusqu'à midi au Subur et avant d'aller faire un plongeon dans la mer : attention aux coups de soleil si on s'endort sur la plage à la sortie de l'eau ! Les premiers afters du festival d'Amsterdam dans un vieux squat et cette nuit à Amsterdam après un bon dîner, la neige avait blanchi et paralysé la ville en deux heures. Je n'ai fait une pause que pour une seule danse, le temps que mon danseur arrive.
Les moins bons souvenirs : ces quelques fois où l'on arrive avec une véritable envie de partage et où l'on ne trouve pas l'autre.
Gz- 3 Tangos / 3 orchestres / 3 danseurs ou danseuses
MA-
TANGOS
- El pañuelito blanco par Pugliese
- Desde el alma au Carré d'Amsterdam avec Puggliese au piano et Piazzola au bandoneon
- Milonga criolla de Canaro
ORCHESTRES
- Pugliese : le hard rock du tango
- Biagi : le royaume de la femme. Il est tellement riche que c'est impossible pour le guideur de tout donner !
- Canaro : pour la multiplicité des voies et des énergies qu'il propose
DANSEURS
- Mariana et Sebastian, pour leur trajet, pour leur démarche et leur générosité dans leur pédagogie
- Gustavo Naveira pour son rôle de pionnier dans l'enseignement
- Tous les danseurs/danseuses qui me permettent de vivre ces moments de grâce et ceux qui me montrent le chemin qu'il me reste à parcourir
Gz- Quelle est la meilleur manière de terminer une Milonga ? Choisissez :

a) 
Les pieds douloureux après avoir tant dansé
b) A la recherche d'une "after" pour continuer.
c) En allant prendre un petit déjeuner. 
d) Avec quelqu'un
e) Autre, (précizez) :
MA- Dans l'une ou l'autre de ces situations, mais avec le sourire aux lèvres d'avoir tant partagé

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